Dans un monde du voyage, du transport, de la rencontre, de la différence, l'Autre est omniprésent, quasi en permanence... Une réalité du monde moderne qui fixe la "créolisation" plus que jamais au "croisement" des identités. Miguel Marajo, sur les traces d'Edouard Glissant, nous invite à relativiser la notion d'identité créole.
D'emblée, le peintre (Miguel Marajo) ne mâche pas ses mots, tout comme ses couleurs et ses traits d'ailleurs. “Je suis d’une génération dont le but aura été de dépasser la "négritude", de faire de la diversité culturelle une richesse et non (...) une tentative pour y apporter une réponse". Voilà de quoi, dans le vif, lancer le débat. Marajo, comme d'autres, mais certainement mieux que d'autres, nous questionne sur notre relation personnelle et collective à la dimension démiurgique du Chantre, Aimé Césaire : dans notre histoire, dans notre culture et dans notre identité. Édouard Glissant, dont la notion de "créolisation" inspire Miguel Marajo, lui, sans contester machinalement les théories césairiennes, nous proposent pour autant une autre voie, en fait une prolongation vers le simple constat d'existence de nous-mêmes. Glissant nous propose une autre ontologie, non plus l'ontologie de l'Homme Noir, mais plus généralement de l'Homme Antillais. Et, c'est là qu'il est rejoint par Marajo.
Il est clair que notre identité, aujourd'hui, certainement plus qu'hier, et il faut l'accepter sereinement, trouve des échos dans cette dynamique de l'ouverture au monde plutôt que du repli vers soi pour comptabiliser "nos plaies hideuses" et nous invite à une appréhension plus large de notre diversité qui, bien évidement, dépasse très largement les seules côtes africaines. Si Césaire nous liait à l'Afrique, dans un rapport nécessaire de "reconnaissance et d'intégration", Glissant nous initie à la notion de "rhizome", cet enracinement multiple. Le grand cri nègre ne fait plus écho, il faut bien le reconnaître, dans une société dont les composantes relèvent plutôt de la mosaïque du Tout-Monde que du "rêve africain". Le roi Césaire est-il mort pour autant ? On ne saurait le penser ni même l'envisager et Marajo ne l'insinue même pas. Non ! Pour lui, comme pour le plus grand nombre : le chantre vivra pour toujours et nous guidera inlassablement dans les méandres de nos mémoires.
En route pour l'homme créole nouveau, la femme créole nouvelle...
Ceci dit, Marajo, dépassant et le tracé de Césaire et celui de Glissant nous propose une véritable innovation, un nouveau défi en soi. Et il le dit lui-même : "Mes parents ont de multiples origines, j'ai grandi en Martinique, à Fort-de-France", explique-t-il. Quand on vous dit "diversité ethnique" ! Se définissant comme un "peintre de la créolité", Marajo affirme une "quête de soi" qui l'emmène à "dépasser, plastiquement, l’idée de “négritude" au profit d’une vision plus ouverte de la notion d’identité.” Car il est bien clair qu’envers et contre les traits idiosyncrasiques que ces portraits contiennent, il n’en demeure pas moins qu’il s’efforcent, dans le même temps, de faire tenir ensemble, en de multiples agencements complexes, des cultures et des énergies qui s’opposent ou, tout au moins, ne forment que très difficilement un tout uni". Et c'est certainement là que réside l'innovation.
Marajo nous parle d'amour, d'union, de fraternité, de paix intérieures ou mieux intériorisés : autant de notions simples, à première vue, mais qui, sous nos latitudes trouvent difficilement écho au sein de notre société déchirée dans ces cultures et ses identités.
Il faut impérativement la paix culturelle, nous souffle Marajo : “Ma peinture est de l’ordre du paradoxe pour autant que je m’efforce d’accepter toutes les cultures qui me composent. Je m’efforce de voir les choses de façon multiple. Mes peintures sont toujours en mouvement". Et que penser dès lors de cette autre affirmation, toujours du même : "Il y a la présence, en chacun de nous, d’une vie anonyme et sous-jacente, d’une vie qui bouge dans les profondeurs et qui cherche à se manifester. Pour ce faire, il nous faut abolir les limites mêmes de toute identité pour poindre vers une identité dont l’essence se fonde sur l’idée de relation, une identité-relation".
Alors, avec Miguel Marajo en route pour l'homme créole nouveau, la femme créole nouvelle, bien inscrits tous deux dans leur identité rhizome, dans leur diversité et leur variété. En cela, ils seront très certainement plus proche du Tout-Monde alentour.
Rodolf Étienne, 2013.